Quelle place pour l’Homme et les usages dans la digitalisation des infrastructures ?

Plus simple, plus efficace mais aussi plus rentable pour l’usager comme pour l’exploitant : la digitalisation des infrastructures ouvre des perspectives plus intéressantes pour créer des services innovants.

 

 

 

Quelques centaines de mètres avant le péage, un simple pied levé suffit à faire décélérer le moteur jusqu’à parvenir à une vitesse raisonnable. La barrière s’ouvre, le véhicule poursuit sa route sans jamais avoir freiné, le tout grâce au système de télépéage. Superflu, diront certains ? Tout est question de point de vue. Au-delà du confort de l’usager, la digitalisation des infrastructures de transport a permis de moderniser et fiabiliser la maintenance de ces dernières, sécurisant les réseaux routiers, ferroviaires, fluviaux et même piétons. Capteurs et synthèses statistiques permettent d’anticiper leurs défaillances et/ou d’allonger leur durée de vie. Quelques écueils sont toutefois à éviter lorsque l’on souhaite digitaliser ses opérations de maintenance.

 

Innover pour optimiser

 

Avant de chercher à innover et/ou digitaliser, il est intéressant de se demander pourquoi le faire. Les raisons peuvent être multiples : accélérer un dispositif, le simplifier, le sécuriser, le rentabiliser, le rationnaliser. « Une innovation, c’est une invention qui rencontre son marché, définit Aristide Wolfrom, co-fondateur de Spark Lab. Il y a une forte dimension sociale : l’innovation diffuse et profite, tant en terme économique qu’en terme d’usage et d’utilité ».Comme le rappelle François Castan, directeur de la stratégie digitale et datas du Groupe APRR (Autoroutes Paris-Rhin- Rhône), «optimiser, c’est comment utiliser au mieux les outils ». De fait, innover par le digital est souvent lié à optimiser ces actions ou tâches répétitives et automatisables.

« Une innovation, c’est une invention qui rencontre son marché. Il y a une forte dimension sociale : l’innovation diffuse et profite, tant en terme économique qu’en terme d’usage et d’utilité».

Pour mieux comprendre, prenons l’exemple de l’automatisation du freinage des métros lorsqu’ils entrent en station. Il s’agit d’une innovation au sens où elle a permis de simplifier et de sécuriser les usages. Pourtant, la digitalisation de ce processus a rapidement dévoilé ses failles car à force de freiner toujours au même endroit et toujours de la même façon pour arrêter la rame, l’infrastructure s’est trouvée fragilisée. L’outil était performant mais pas optimal.

 

Écouter pour innover

 

Dans ce cas précis du freinage du métro, il manquait un élément essentiel au projet de digitalisation : la dimension imparfaite et inconstante de l’intervention humaine. En 2015, la journaliste Mona Chollet écrivait dans son essai intitulé Chez soi, Une odyssée de l’espace domestique (1) que « le fait de participer [soi]-même à la construction [donne] une claire conscience des forces contraires qu’elle suppose de prendre en compte et de tenir en respect ». Si l’on remplace construction par conduite du métro, l’idée reste la même : pour innover, il apparaît primordial d’observer les usages, d’écouter les usagers concernés, qu’ils soient acteurs ou clients.

 

« Il est important de comprendre que l’innovation digitale est d’abord au service des métiers, rappelle François Castan. Nous ne sommes pas à la recherche absolue de l’innovation au sens d’une disruption: le but de l’innovation est plutôt de nourrir par la digitalisation les métiers et les outils, de les accompagner pour les rendre plus efficients et ,in fine, créer de la valeur pour nos clients ».

 

Dans le monde de l’entreprenariat au service des entreprises, nul n’ignore qu’une innovation n’a de sens que si elle vient répondre à un usage. Il faut qu’elle s’ancre dans une double réalité : celle du marché mais aussi celle des travailleurs.

 

Mieux vaut prévenir que guérir

 

 

 

C’est ce que fait la start-up grenobloise Morphosense, qui a mis au point une solution pour surveiller les structures (Tour Eiffel, barrages hydrauliques, éoliennes offshores, passerelles piétonnes, centrales nucléaires…) et «optimiser leur profitabilité», explique son directeur technique Mikaël Carmona. Grâce à l’installation d’un réseau de capteurs, Morphosense « crée un jumeau numérique (Digital-Twin) de la structure » afin « d’optimiser les coûts de maintenance : les mesures temps réel et continu, prises par les capteurs permettent de calculer la fatigue réelle des structures et d’en étendre la durée de vie, notamment en anticipant les actions permettant d’assurer son bon fonctionnement ». Aujourd’hui, il faut privilégier la maintenance prédictive à la maintenance préventive.

« La maintenance préventive, explique François Castan, c’est prévoir des interventions sur planning, à intervalles réguliers, quel que soit l’usage ».

Or, il est plus intéressant de « prévoir le maintien des équipements en fonction de l’usage ».

 

C’est ce qu’on appelle la maintenance prédictive. « Plutôt que de résoudre un problème le plus rapidement possible, on fait tout le nécessaire pour qu’il n’arrive pas », complète César Houot, co-fondateur de Spark Lab.

 

Placer les usages au centre de l’innovation digitale

 

 

 

Dans cette perspective, l’implication humaine apparaît centrale. « C’est une question de bon sens, observe César Houot. On parle du domaine du risque, il faut nécessairement une vigilance humaine avec un enjeu fort : celui de la continuité de service ». Impliquer les Hommes dans la digitalisation des opérations de maintenance induit avant tout « d’accompagner les salariés dans cette transition », insiste François Castan. « La digitalisation donne la capacité à ce que les gens soient formés, renchérit César Houot.

L’idée n’est pas et ne doit pas être de remplacer les Hommes mais bien de refocaliser leur travail sur des choses plus intéressantes et importantes ». « Cela signifie, pour la maintenance, que même si les outils changent, ce sont toujours des outils », résumait Bilal Kaddouh, chercheur à l’université de Leeds, spécialiste des systèmes autonomes au sein du programme de recherche britannique Self-Repairing Cities, dans une interview donnée au magazine Usbek & Rica.

Parce que les opérations de maintenance sont au cœur des enjeux clés des infrastructures et qu’elles regorgent de possibilités d’optimisation et d’automatisation, leur digitalisation présente un grand intérêt pour les entreprises afin de créer de la valeur pour leurs métiers (simplifications, sécurisation, économies) et pour leurs clients (développement de nouveaux services).

Toutefois, pour être pertinente, cette digitalisation de la maintenance doit être pensée de façon systémique : à nous d’interroger et d’écouter les acteurs concernés. Ce que Spark Lab résume en une formule : « ne pas penser à la place de ».

(1) Mona Chollet, Chez soi, Une odyssée de l’espace domestique, Paris, Zones, 2015.